La caravane des affranchis

Posté le 20.10.2022

Western ludique et politique, Buck et son complice, premier film du comédien Sidney Poitier raconte le sort méconnu des Noirs américains cherchant à quitter le Sud après la guerre de Sécession.

C’est un film qui commence dans les stridences d’un harmonica déchaîné : comme souvent dans les films des années 70 destinés prioritairement au public noir (ce qu’on a appelé la Blaxploitation), la bande originale est soignée. Elle fait appel ici au saxophoniste de jazz Benny Carter et à quelques comparses de grand talent, notamment l’harmoniciste Sonny Terry. Elle entraîne ce western à la fois classique dans son récit et moderne dans son propos sur un rythme d’enfer. Buck et son complice puise dans l’histoire méconnue de l’après guerre de Sécession : les esclaves récemment libérés à qui l’on a promis « 40 acres et une mule » (qu’ils ne recevront que rarement) quittent les états du Sud pour trouver de nouvelles terres dans l’ouest du pays. Au terme d’un voyage périlleux, c’est un euphémisme de dire qu’ils ne sont pas bien accueillis : les cow-boys locaux les prennent en chasse, tuent ceux qui leur résistent, démantèlent les convois.

C’était Harry Belafonte qui a acquis les droits d’une histoire mettant en scène un convoyeur noir, chargé de guider les caravanes dans leur long périple, et d’un faux prêcheur bientôt rallié à la cause des migrants. Après des débuts au cinéma, Belafonte a mis toute son énergie dans sa carrière musicale. Pour lui pas de doute, la seule star susceptible de rendre le film possible, c’est Sidney Poitier, le seul acteur noir lauréat d’un Oscar. Les deux hommes sont en mauvais termes :  Belafonte a été très proche de Martin Luther King et un différend l’a opposé à Poitier après l’assassinat du leader noir. Qu’importe : deux ans après la brouille, Poitier reçoit avec surprise un coup de fil de son ancien ami qui lui propose de coproduire le film et de jouer à ses côtés.

Sidney Poitier accepte, fort d’un contrat avec la Columbia qui lui permet de choisir ses sujets. On engage un réalisateur, Joseph Sargent, le tournage commence au Mexique. Et puis très vite, les choses se gâtent. La mise en scène de Sargent paraît fade et sans conviction aux deux acteurs principaux. Elle semble surtout inadaptée au contenu politique du film dont ils ont pris peu à peu conscience et que rend également évidente la présence au générique de l’activiste et poétesse Ruby Dee, dans le rôle de la compagne de Poitier. Ce dernier tente et réussit un coup de force : reprendre la réalisation à son compte, après avoir réglé à l’amiable le départ de Sargent. Il le fait à l’insu de la Columbia, qui, séduite par les rushes, finit par lui donner son feu vert.

Buck et son complice, 1972 © DR

Poitier s’en est expliqué : « Harry et moi voulions que les Noirs et les minorités en général trouvent dans Buck et son complice une certaine substance, de quoi se nourrir intellectuellement. Dans les livres d’histoire, écrits majoritairement par des Blancs, notre histoire a souvent été décrite de manière malhonnête, déplaisante ou inhumaine. Nous voulions que le film dise au public : regardez, voilà qui nous étions, des gens avec du courage, de l’énergie, des convictions. Joseph Sargent emmenait le film du côté d’un divertissement classique et bien fait, un western américain typique. Notre film devait être davantage. Les relations entre les Indiens et les Noirs n’avait jamais été explorées au cinéma, il fallait qu’elles le soient dans notre film. »

De fait, sans jamais perdre sa truculence et son énergie, le film aborde un thème inédit : la convergence des luttes entre peuples discriminés. Les tribus indiennes et les migrants noirs n’ont-ils pas un seul et même ennemi : la suprématie blanche et sa cruauté ? En-deçà de ce propos éminemment politique, le film séduit par la complicité de comédiens – notamment le numéro haut en couleur de Belafonte - qui rend souvent irrésistible ce western atypique à redécouvrir.

A. F.

Séances :

Buck et son complice de Sidney Poitier (Buck and the Preacher, 1972, 1h42)

Lumière Terreaux je20 22h | Pathé Bellecour sa22 14h15