Conversation

« Les films sont des rêves. »


Posté le 17.10.2022


 

Dimanche, le cinéaste américain James Gray a détaillé avec humour et précision sa vision du cinéma.

 

SUR SA CINÉPHILIE

J'ai envie de devenir l'expert d'au moins quelque chose avant de mourir. C'est pourquoi je regarde au moins un film par jour, en général avant d'aller dormir. Ma femme et mes enfants pensent que je suis fou. Ils essayent de me convaincre de regarder des séries sur les plateformes, mais tout ça, c'est de la merde. Ce qui compte, c'est le cinéma !

SUR LA SENSUALITÉ ET LA FLUIDITÉ AVEC LAQUELLE IL FILME

Cela vient d'un mélange un peu bizarre entre mon amour pour une certaine période du cinéma européen et mon amour pour la façon dont on raconte une histoire aux États-Unis. En Europe, il y a plus de profondeur. Ceci dit, les cinéastes américains qui me fascinent vont dans la profondeur des choses. Je suis un cinglé de cinéma étrange ! De mon point de vue, les films sont des rêves, et ils ne sont pas forcément toujours plaisants. Mais j'aime aussi les mauvais rêves. Le cinéma n'est pas complètement verbal pour moi. Cette sensualité que vous évoquez, c'est ma tentative de transmettre des émotions.


James-Gray-Pathe-Chassignole
© Olivier Chassignole

SUR SA MANIÈRE DE BÂTIR UN CINÉMA DU PREMIER DEGRÉ

Je ne comprends pas comment on peut faire une belle œuvre d'art en étant ironique, et quand il s'agit d'un film, en ajoutant une dimension humoristique à l'histoire. Pour moi, l'important est de permettre au public de rentrer dans l'esprit de mes personnages. On ne peut pas prendre de distance si l'on veut vraiment montrer leurs émotions. Tout ce que j'essaye de communiquer au travers de mes films, c'est un sentiment intérieur.

SUR SES PERSONNAGES, QUI SE CONFIENT

Peut-être que cela vient du fait que je hais les comédies musicales de Broadway ! J'ai par exemple détesté Evita. Tout le monde parlait fort en chantant ! Cela a été une torture pour moi. Je préfère les films qui vont dans la partie la plus intime de la vie. Ma mère disait qu'au moins, au théâtre, on peut voir les acteurs en vrai. Moi, je veux voir le grain de la pellicule sur le visage des acteurs. Ce que le cinéma a apporté, contrairement au théâtre, c'est le pouvoir du chuchotement. Ce qu'il y a de vraiment génial au cinéma, c'est que vous pouvez dire « Je t'aime » sans le penser vraiment.


James-Gray-Pathe-Chassignole-2
© Olivier Chassignole


SUR SES HÉROS RÉTIFS À LA HIÉRARCHIE ET À L'INSTITUTION

Je pense que cela vient de ce que j'ai vécu quand j'étais enfant. De quand on doit se battre pour réussir. Mes parents me disaient toujours que je n'arriverais pas à faire du cinéma et j'ai du me battre pour y parvenir. J'ai toujours été conscient du fait que dans mon quartier, il subsistait des inégalités. Mes parents essayaient toujours d'avancer, mais ils avaient de la tristesse permanente dans les yeux. J'ai toujours eu ce désir de s'en sortir que porte en elle la classe ouvrière. Et puis il y a la rencontre avec un professeur au lycée qui m'a appris le latin. Il m'a ouvert les yeux sur la littérature. C'est très difficile de parler de soi même ! C'est un peu comme vous faire visiter ma salle à manger !

SUR LA MORT, QUI TRAVERSE LA PLUPART DE SES FILMS

On va tous mourir ! Mais ce n'est pas une mauvaise chose. Comme la mort, la tristesse ou la déception sont des choses qui existent. Mais je comprends que les grosses sociétés commerciales n'aiment pas qu'on en parle car cela ne pousse pas à l'achat. Si l'on devait vivre pour toujours, grâce à une pilule magique qui rendrait immortel, ce serait tellement ennuyeux ! J'essaye de « dealer » avec l'immortalité au travers de mon travail. Je ne sais pourquoi, mais j'ai toujours été obsédé par l'idée de la perte, du deuil. J'aime capter des moments éphémères. Je ne sais pas pourquoi.

 

 

 

Propos recueillis par Benoit PAVAN

 


 

 

 

 

Catégories : Lecture Zen