Posté le 15.10.2022
Derrière le contenu riche et varié du Festival Lumière 2022, il y a Maelle Arnaud, programmatrice avisée, à l’écout des archives du monde entier. Elle nous donne quelques clés de cette nouvelle édition.
Quand commencez-vous à préparer le festival Lumière ?
On aime bien y penser toute l’année : on a une sorte de veille sur les idées qui nous viennent, sur les restaurations dont on entend parler, etc. Mais c’est bien aussi de faire une pause après chaque édition. Une pause qui est aussi liée à l’activité permanente de l’Institut, qui est le cœur de notre mission. La programmation du festival commence précisément au printemps mais certaines idées viennent de plus loin. Ainsi, cela fait plus de deux ans que l’on discute avec les archives hongroises autour des films qu’André de Toth a signés avant de partir pour Hollywood. On a convenu ensemble d’une date à laquelle la restauration de ces films serait achevée.
Chaque année, les archives du monde entier nous proposent des films pour la section Lumière Classics, cela nous donne un état des lieux des restaurations à travers le monde. Par exemple, l’an passé, les archives suédoises nous avaient proposé un film de Mai Zetterling, mais la sélection était bouclée. Il nous a semblé judicieux d’attendre l’année suivante alors qu’eux-mêmes travaillaient sur d’autres restaurations. Les échanges ont aussi lieu toute l’année dans les festivals de cinéma classique comme à Bologne et puis la Fédération Internationale des Archives du Film à une newsletter régulière où les archives indiquent rechercher du matériel en vue de telle ou telle restauration et ça nous permet d’avoir des infos en amont.
Y a-t-il des archives plus dynamiques que d’autres ?
Tout dépend des financements. Par exemple, les archives hongroises ont récupéré des fonds après avoir montré l’importance de leur présence au festival Lumière. Elles ont même pu créer un festival de films restaurés à Budapest et ce type de manifestations se multiplie. C’est un exemple de ce cercle vertueux auquel nous croyons et qui me rend très fière : une exposition événementielle des films entraîne de nouvelles restaurations qui seront à leur tour exposées. C’est la première fois cette année que nous travaillons avec les archives albanaises qui nous ont proposé le premier film de l’histoire du cinéma local, Tana, réalisé en 1958. Des archivistes vont venir présenter le film et ce sera l’occasion d’échanger avec eux, de mieux connaître le travail qu’ils font sur leur patrimoine.
Année après année, on peut dire que les cinématographies des pays de l’Est de l’Europe ont été beaucoup montrées à Lyon, et c’est le fruit de nos bonnes relations avec les archives tchèques, slovaques ou polonaises. On se plaît à croire que le public lyonnais a désormais une bonne connaissance de l’histoire du cinéma dans cette région du monde ! Il me semble que partout dans le monde des financements se débloquent pour le patrimoine, même si c’est de manière insuffisante dans certains pays.
Condenados a vivir, 1972
Est-ce lié aux nouveaux débouchés audiovisuels potentiels, par exemple les plateformes ?
En partie. Mais d’abord à la visibilité qu’offrent les festivals de patrimoine et en premier lieu le festival Lumière. Ensuite, il peut y avoir au coup par coup des ventes à des distributeurs ou à des plateformes : comme quand les films de Chabrol ou Truffaut se retrouvent sur Netflix…
Pourquoi une rétrospective Louis Malle ?
On réfléchissait à notre rétrospective annuelle consacrée au cinéma français, et on hésitait à rester sur la période des années 30 aux années 50. Pourquoi ne pas choisir un cinéaste plus récent ? On l’avait déjà fait avec Claude Sautet. C’est à ce moment de notre réflexion que le distributeur Malavida nous nous a informés qu’il comptait ressortir en salle certains films de Louis Malle, dont Gaumont venait de récupérer les droits et d’achever la restauration. On a sauté sur l’occasion, d’autant que c’est un cinéaste dont on parlait peu. On a bien mesuré la réaction à l’annonce de rétrospective : tout le monde trouvait l’idée formidable. C’est vraiment un bon exemple de collaboration optimale : un distributeur nous offre le matériel clé en main et la visibilité du festival Lumière va l’aider et soutenir la sortie en salles.
Vous avez fait réaliser un sondage auprès des moins de 26 ans pour mieux cerner leur cinéphilie. C’est ce qui a donné la section « Cultes ! » du festival ?
Cette section est concomitante de la réflexion qui nous a poussé à lancer ce sondage. A l’Institut Lumière, on a été surpris de la réactivité d’un public jeune sur certaines programmations, notamment sur le cinéma américain. On a donc établi un questionnaire qui portait à la fois sur leurs films préférés, ceux qu’ils avaient envie de revoir sur grand écran, l’impact du noir et blanc, etc. Les centaines de réponses que j’ai lues intégralement ont nourri la programmation. Le spectre était large, allant de Psychose, pour nous un « Grand Classique en Noir et Blanc », à Interstellar, qui était énormément cité et que nous avons intégré à la section « Cultes ! ». C’est une cinéphilie assez particulière, fondée sur l’expérience collective de la séance, enrichie par les échanges sur les réseaux sociaux, très pointue sur un certain type de cinéma, avec une connaissance exhaustive d’un film, mais moins de contextualisation que la cinéphilie classique.
On peut aussi avoir des surprises : ainsi la rétrospective Mizoguchi, qui a précédé le festival, a très bien marché, attirant également un public jeune. C’est très singulier d’avoir ainsi l’impression que chaque programmation va être une expérimentation de l’état de la cinéphilie. Je pense par exemple à la rétrospective Ridley Scott et aux séances consacrées à Gladiator, qui ont rencontré un énorme succès. C’est formidable que des jeunes trouvent le chemin d’une cinémathèque pour revoir Gladiator sur grand écran ! On aimerait aussi qu’ils viennent quand on passe du Duvivier, mais on veut continuer à être un endroit où ils se sentent accueillis.
Quand avez-vous eu l’idée de la section « Histoire permanente des femmes cinéastes » ?
Quasiment dès le début du festival, on doit en être à la dixième année. À l’époque, ça n’intéressait pas grand monde ! Et puis il y a eu #Metoo et cette idée a paru naturelle. Il y a d’ailleurs aujourd’hui un débat en interne sur son intitulé, mais je crois que c’est encore important de souligner la question de la place des femmes dans l’histoire du cinéma. Prenez Mai Zetterling que nous célébrons cette année, son œuvre est oubliée, alors qu’à l’époque ses films étaient sélectionnés aux festivals de Cannes ou de Venise. Quand un livre consacre un chapitre au cinéma suédois, il y a de bonnes chances qu’elle ne soit pas mentionnée. À l’époque, pourtant, elle était incontournable.
Les archives et cinémathèques sont de plus a sont de plus en plus attentives à cette question. Je sais que la Cinémathèque de Toulouse prépare quelque chose sur les cinéastes portugaises. Quand on a demandé aux British Film Institute les films de Muriel Box, ils étaient un peu surpris et puis notre intérêt les a poussés un peu plus tard à commencer à restaurer des films. Tant mieux si cela déclenche des choses, peut-être que dans quelques années nous remontrerons des films cette cinéaste anglaise dans des restaurations flambant neuves.
Un des événements festival sera la projection du film de Charles Vanel, Dans la nuit, liée à l’histoire de l’institut. Pouvez-vous nous en parler ?
Charles Vanel est déjà l’une des grandes stars du cinéma muet français quand il se décide à passer derrière la caméra. Il disait s’être souvent ennuyé sur les tournages en tant qu’acteur et avoir logiquement remarqué que le plus actif était le metteur en scène. Il a plusieurs idées de films en tête et met en chantier celui qu’il peut tourner dans l’Ain, qui est la patrie de son père, dans la carrière de Jujurieux. Le résultat est magnifique mais quand il est prêt à sortir, en mai 1930, beaucoup de salles qui s’étaient engagées à le programmer viennent de s’équiper pour le cinéma parlant. Elles ne gardent ce film muet que quelques jours à l’affiche. Charles Vanel qui a mis tout son cœur dans ce projet se résigne à abandonner la réalisation.
Des années plus tard, Bernard Chardère, l’un des fondateurs de l’institut Lumière, lui aussi originaire de la région où a été tourné le film, se rapproche de Charles Vanel, qui décide de donner les droits du film à l’Institut. Le négatif était en bon état et la restauration, que l’on a confiée au laboratoire Eclair classics, est somptueuse. C’était un de nos gros projets pour 2022 et le film a déjà été montré au festival du cinéma muet de San Francisco, lors d’une soirée magnifique sur la Piazza Grande de Bologne lors de Cinema Ritrovato, en Espagne, Pologne et Hongrie. Nous sommes fiers de le présenter à Lyon, nous espérons le faire tourner ensuite dans les salles françaises.
Si vous deviez recommander quelques séances du festival – en dehors de Dans la nuit…
Question difficile ! Je commencerai par Ordet de Dreyer, tout simplement parce que c’est Ordet de Dreyer ! Je dirai ensuite Serpico parce que la découverte d’Al Pacino dans ce personnage m’a beaucoup marquée et que ce film témoigne de la splendeur du cinéma américain des années 70. Et puis pour le plaisir de citer un film espagnol, l’Espagne étant par ailleurs le pays invité du Marché International du Film Classique.: Condenados a vivir. C’est un film peu connu qu’on a eu du plaisir à découvrir et qui a inspiré Quentin Tarantino pour Les Huit Salopards. J’aime l’idée de ces filiations.
Propos recueillis par Aurélien Ferenczi