Posté le 19.10.2022
À deux jours de la remise du prix Lumière à Tim Burton, retour impressionniste sur quatre moments d’une carrière à nulle autre pareille.
1979, intérieur jour, bureau chez Disney. Son occupant a 21 ans et les cheveux en bataille. Dessinateur surdoué, il a intégré l’entreprise en rêvant de travailler sur ses propres créations, d’inspiration très personnelle, volontiers macabre, puisqu’il a le goût du cinéma d’horreur, de Vincent Price et d’Edgar Poe. Et le voilà obligé de crayonner les innocents Rox et Rouky, pas tellement sa came.
Alors, légende ou réalité, il passe le temps : il se cache dans son armoire, apprend à dormir les yeux ouverts, se triture les dents jusqu’à les faire saigner. Un vampire chez Mickey ? Depuis l’enfance, le jeune Timothy Burton s’est toujours senti comme un alien. Heureusement, Warner lui offre de réaliser un premier film, Pee-wee Big Adventure. On dit que c’est Stephen King lui-même qui, après avoir vu son deuxième court-métrage Frankenweenie, en aurait passé la cassette au studio. Les happy ends existent même pour les freaks.
Tim Burton sur le tournage de Batman, 1989
Hiver 1988, intérieur jour ou nuit, au fond, on ne sait plus. Enfermé dans des studios londoniens, notre héros, vêtu de noir et cheveux en bataille, fait le dos rond. Il a à peine 30 ans et réalise Batman, à une époque où les films de superhéros ne sont pas légion. La pression qu’il subit de la part des producteurs est à l’échelle de l’imposant budget de 35 millions de dollars. L’action Warner a même baissé quand le jeune cinéaste a imposé Michael Keaton, un comique, dans le rôle de l’homme chauve-souris, provoquant les la colère des fans ; il ne sait pas quoi faire d’une bande originale composée par Prince, alors qu’il tient à la partition symphonique de son complice Danny Elfman. Bref, il résiste et il a raison : le film est un carton au box-office (plus de 400 millions de dollars de recettes) tout en étant fidèle à son romantisme noir. La Burton mania peut commencer.
Fin d’été 1993, intérieur jour. Tim Burton est toujours en studio, la scène reconstitue un tournage nocturne, le film dans le film est signé du « plus mauvais cinéaste du monde », alias Ed Wood, et il met aux prises un personnage de vieil acteur hongrois, star déchue du cinéma d’horreur, et une pieuvre en caoutchouc qui s’agit d’animer tant bien que mal. Le film raconte l’odyssée brinquebalante d’un pseudo cinéaste, adepte du travestissement, entouré d’improbables compagnons, voyant d’opérette, speakerine vampire, catcheur fruste. Ensemble, ils partagent une utopie d’un cinéma de l’imaginaire, fût-il fauché et un brin ridicule. Tim Burton, cheveux en bataille s’identifie à tous.
Le film est une magnifique ode au cinéma qui culmine dans une scène imaginaire où Ed Wood rencontre Orson Welles, façon de dire que, bon ou mauvais cinéaste, ils partagent la même passion, font le même métier. L’interprétation puissamment naïve et exaltée de Johnny Depp en Ed Wood, la composition géniale de Martin Landau en Bela Lugosi sont inoubliables. En compétition au Festival de Cannes 1994, Ed Wood repart bredouille, et on en veut encore à ce jury d’avoir ignoré le 8 ½ de son auteur.
Ed Wood, 1994 © DR
Novembre 2009, intérieur soir. Le vernissage le plus attendu de l’automne new-yorkais, au prestigieux Musée d’Art moderne, le MoMA, accueille un créateur qui n’est guère habitué à être fêté dans les musées – si l’on excepte une scène fameuse de son Batman. On imagine que Tim Burton, 51 ans, comme le temps passe, porte un costume noir et on sait qu’il a encore les cheveux en bataille. L’exposition consacrée à son œuvre graphique va connaître un succès colossal : elle montre à quel point le cinéaste marginal est devenu un artiste majeur et surtout comment son travail, pour les films en prises de vues réelles comme pour l’animation, naît d’abord sous son trait de dessinateur. Il griffonne des créatures étranges, des adolescents au long visage qui lui ressemblent, des monstres qui n’ont pas choisi d’être monstrueux, les pauvres. Ces croquis sont la base son imaginaire, on les retrouve dans tous les films, ils sont sa signature. Avec Tim Burton plus qu’avec quiconque le cinéma est d’abord un art visuel.
Aurélien Ferenczi
Les séances du jour
Frankenweenie de Tim Burton (2012, 1h27)
Villa Lumière me 19 14h en VF
Sleepy Hollow : La Légende du cavalier sans tête de Tim Burton (Sleepy Hollow, 1999, 1h45, int -12ans)
Décines me 19 14h30
Les Noces funèbres de Tim Burton et Mike Johnson (Corpse Bride, 2005, 1h17)
UGC Confluence me 19 14h30 en VF
Pee-Wee Big Adventure de Tim Burton (Pee-Wee’s Big Adventure, 1985, 1h31)
Cinéma Opéra me 19 16h45
Ed Wood de Tim Burton (1994, 2h07)
UGC Confluence me 19 18h30
Big Fish de Tim Burton (2004, 2h05)
Francheville me 19 20h30
Charlie et la chocolaterie de Tim Burton (Charlie and the Chocolate Factory, 2005, 1h55)
Lumière Bellecour me 19 20h30