Posté le 20.10.2022
Retirée des écrans, elle a accepté l’invitation du festival Lumière, pour évoquer une carrière qui aura su marier qualité et succès populaire.
Les Cigognes n’en font qu’à leur tête, assurait son dernier film. Elle aussi : en 1989, après la sortie de cette comédie signée Didier Kaminka, Marlène Jobert tournait le dos au grand écran et s’en allait regarder grandir ses filles, puis écrire les contes pour enfants qu’elle aurait aimé qu’on lui lise lorsqu’elle était petite et pas assez heureuse. Comme Mireille Darc, Marlène Jobert appartient à cette génération d’actrices françaises d'après-guerre qui étaient d’abord un physique, une nature, des femmes enfants tendance garçonne. Ingénues, mais pas trop en fait, très vite capables à l’écran d’opposer une résistance amusée aux vieux lascars de l’époque, de Blier à Ventura.
Michel Audiard est l’un des premiers à être séduit par la gouaille de Marlène en préparant Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages : “je voudrais essayer de mettre une note d’humour à l’érotisme qui est très ennuyeux et je crois avoir trouvé l’actrice rêvée pour ce genre de numéro de trapèze. Je ne la connaissais pas il y a deux semaines et j’ai vu le film d’Yves Robert Alexandre le bienheureux. On a toujours l’impression qu’elle ne vous écoute pas, mais en fait elle comprend mieux que tout le monde. C’est une très grande comédienne à qui je souhaite une très grande carrière”. L’intéressée remercie encore Audiard. “Je ne savais pas que j’avais cette nature comique”.
Le documentaire de Dominique Besnehard, présenté au festival, revient sur son enfance critique, après le départ d’Algérie de sa famille et ses premières années à Dijon, autour d’un père militaire adepte du martinet un peu trop à son goût. C’est pourtant ce même père qui bientôt sera ravi de voir son aînée intégrer le Conservatoire. “J’ai eu de la chance tout de suite, je n’y étais pas depuis un an que je me retrouve au théâtre avec Montand”.
Marlène Jobert et Michel Audiard 1968
La chance aura son corollaire, car Montand ne rime pas avec charmant. Dans son livre de souvenirs Les Baisers du soleil (2014) elle lui attribuait “deux neurones, l’un pour être méchant, l’autre pour être bête”. Au cinéma, sa première apparition c’est à Jean-Luc Godard qu’elle la doit dans Masculin féminin, avec une autre débutante, Chantal Goya. Souvenir mitigé là encore, croyant bêtement que “metteur en scène” implique de “diriger”. Ce que JLG ne fait évidemment pas, Marlène ayant auparavant réclamé même un script.
Mais l’expérience vaut formation accélérée pour celle qui souffre alors de ses origines modestes, de son inculture. La chance revient cependant au triple galop avec L’Astragale et un rôle en or de jeune femme évadée de prison qui devient un des succès de 1968. L’énergie qu’elle déploie à l’écran, la détermination, si moderne et si peu courante dans les rôles féminins à l’époque, la rendent irrésistible comme dans Dernier domicile connu de José Giovanni, en assistante de police d’un Lino Ventura revigoré par l'élan de la gamine.
Suivra Le Passager de la pluie de René Clément, au côté de Charles Bronson, où en “merveilleuse menteuse” Marlène Jobert devient une actrice adulée, mélange de fragilité et d’une incroyable force. La voie est libre pour les années à venir : Rappeneau (Les Mariés de l’an II), de Broca (La Poudre d’escampette) puis Chabrol (La Décade prodigieuse) se partagent tour à tour son talent réel et si communicatif. Jusqu’à La Guerre des polices (1979), elle mènera une carrière exemplaire. Le public l’aime, la réclame. Mais bientôt ce sera trop. “5 films en 14 mois, une folie, dit-elle. J’ai réussi trop vite, je n’ai pas eu le temps de mûrir.” Bientôt une carrière d’auteur pour enfants s’ouvrirait à elle en découvrant de l’or au bout de sa plume. Une plume de cigogne, forcément.
Carlos Gomez
Master class
Rencontre avec Marlène Jobert
Pathé Bellecour le jeudi 20 octobre à 15h
Séances présentées par Marlène Jobert :
C’est moi... Marlène Jobert documentaire de Dominique Besnehard, le vendredi 21 octobre à 12h à la Villa Lumière
Nous ne vieillirons pas ensemble le jeudi 20 octobre à 17h15 au Pathé Bellecour
Le Passager de la pluie le vendredi 21 octobre à 10h30 à l'Institut Lumière