Posté le 19.10.2022
Il viendra en fin de semaine présenter des films qui lui tiennent à cœur. Avant son arrivée à Lyon, Vincent Lindon, parrain officieux de la rétrospective Sidney Lumet nous confie sa passion pour le cinéaste.
S’il fallait qualifier l’œuvre de Sidney Lumet en un mot ?
Mon premier réflexe : sous-estimée. C'est le propre de l'art, il est subjectif, et donc automatiquement il y a d'autres cinéastes qui sont surestimés. J'ai tendance à être d'un caractère très objectif, je ne sais pas si c'est un avantage ou un désavantage dans la vie, et je suis souvent dérangé, gêné, par la subjectivité des avis sur l’art et le cinéma, je ne sais jamais trop bien quoi faire de tout ça. Il suffit de deux ou trois articles de l'intelligentsia critique mondiale pour qu'un cinéaste soit assimilé à un petit maître alors qu'il en est un grand, et à un génie alors qu'il est un petit maître. On peut aussi distribuer le mot cinéaste trop facilement, qui n'a rien à voir avec metteur en scène, qui n'a pas non plus à voir avec réalisateur. Et pour ce metteur en scène sous-estimé, il faut ensuite trente-cinq ans pour le réhabiliter à sa juste valeur. Ça n'est pas arrivé qu'à Lumet. Ne citons pas de noms, ni dans un sens, ni dans l'autre, attendons trente-cinq ans !
© Anouck Oliviero
Quel est le premier film de Sidney Lumet que vous avez vu ?
Je ne m'en souviens pas, je ne raisonne pas comme les cinéphiles qui se souviennent précisément de la découverte de tel ou tel film à tel ou tel âge dans telle ou telle salle. Est-ce que c'était Serpico, Network, 12 hommes en colère ? On ne voit plus les films de la même manière quand on fait du cinéma (en tout cas en ce qui me concerne) : j'avais déjà commencé à travailler quand j'ai vu Un après-midi de chien, je savais un peu comment ça se passait, ce qu’était en gros le montage. Et j'e me souviens avoir été stupéfait : j'avais l'impression que le Bon Dieu avait déposé des caméras dans la banque et qu’il ne restait qu’à récupérer les cassettes. Je ne voyais pas comment au bout de dix prises dans chaque axe de caméra, on pouvait rendre les acteurs aussi naturels, aussi juvéniles, ni comment les acteurs pouvaient donner l'impression qu'ils étaient en train de vivre pour la première et ultime fois ce qui se passait sous nos yeux. Mais, vous savez, j'ai beaucoup de mal à parler des films que j'aime. C'est comme en amour : quand on doit décrire pourquoi on aime quelqu'un, le plus souvent on n'en sait rien. C’est organique, minéral, parce que c’était elle, parce que c’était lui, et il en est de même avec les films.
Un après-midi de chien, 1975 © DR
Voir des acteurs comme Pacino dans les films de Sidney Lumet, cela vous inspire-t-il dans votre travail ?
Franchement je n’en sais rien. D’abord, je ne me sens pas capable de distinguer Pacino chez Lumet de Pacino chez Coppola ou Harold Becker. Ensuite, quand je travaille, je ne sais pas ce dont j'ai besoin ou ce dont je pourrais me passer, ce qui me fait du bien ou ce qui me fait du mal. Je fais appel à mon inconscience, à mon insouciance plus qu’à mon savoir-faire ou mon « savoir-regarder ». Selon moi, au fur et à mesure que l’on vieillit, il faut en savoir de moins en moins…
Un film dans sa filmographie ?
J'ai été très marqué par son dernier film, 7h58 ce samedi-là. J'adore l'idée qu’un cinéaste de 83 ans fasse un film aussi transgressif, et qu'il n'y ait aucune « erreur de vieillesse ». Un exemple : dans certains films, lors des scènes de poursuites en voiture, il arrive souvent que dans un plan les véhicules soient à vingt mètres l’un de l’autre, puis dans le plan d’après, sans aucune logique, à cinquante mètres d’écart, et, dans le plan suivant, à une distance encore différente. Même à un âge plus que respectable, Lumet, lui, savait respecter le « ça se peut » du raccord.
Et À bout de course ?
Ah oui, pardon, je l’avais oublié, c'est impardonnable, c'est son chef-d'œuvre. Je le connais par cœur. La scène de danse dans la cuisine sur la musique de James Taylor est géniale, le dernier plan du film avec le gamin sur son vélo est bouleversant. Je reçois les films de façon organique, je ne les analyse pas comme un critique ou un cinéphile, je suis le spectateur qui a peur pour le héros ou l’héroïne, qui a sans cesse envie de crier. « Attention, attention, regarde, ils arrivent, cache-toi », et pourtant je sais bien que l’on a monté le film sur elle ou sur lui, et qu’ils vont forcément aller jusqu’au bout de l’histoire. Mais la magie opère encore sur moi. .Je peux voir plusieurs films urbains de Lumet sans remarquer qu’ils se déroulent à New York, mais en le ressentant inconsciemment, sans pouvoir mettre des mots dessus...
Voilà, j'ai une passion pour Sidney Lumet, je ne suis pas sûr de pouvoir vous expliquer précisément pourquoi, mais c'est un peu comme avec Raoul Walsh, ou William Wellman ou John Ford, quand je vois un de leurs films, j'ai envie d'en voir un deuxième, puis un troisième, comme on fait aujourd’hui avec les épisodes et les saisons d’une série. Je ne cherche même pas à savoir le rapport qu'ils ont entre eux, je prends tout. Je vois le nom de Lumet au générique et je suis content. Il est pour moi un gage de qualité, je sais qu’au minimum je vais aimer une dizaine de grands moments dans son film et au mieux le film du début à la fin ; en regardant ses films, j’ai toujours l’impression qu’il les a fait spécialement pour moi, je pense que c’est ça être un tant soit peu universel.
J'ai découvert ses films quand j'étais encore dans un cours de théâtre, et j'aime ces films aujourd'hui à l'aube de la retraite. Si ce n'est pas cela qu'on appelle traverser l'histoire du cinéma, alors…
À bout de course, 1988 © DR
Propos recueillis par A.F.
Vincent Lindon présentera
À bout de course le vendredi 21 octobre à 10h45 au Pathé Bellecour et le samedi 22 octobre à 19h au Lumière Terreaux
Un après-midi de chien le samedi 22 octobre à 20h au CinéDuchère
RENCONTRE avec Vincent Lindon le dimanche 22 octobre à 11h au Pathé Bellecour