Posté le 18.10.2022
« Dans mes films, j’essaie avant tout de lancer une question, pas tellement de transmettre un message. J’aimerais que cette question que j’essaie de vous lancer à travers mes films vous fasse réfléchir après la projection, et des semaines après. J’aime avoir ce lien entre le spectateur et moi-même ».
Sur la famille
Le sujet tourne toujours autour de la famille. J’essaie toujours de tisser l’histoire autour du monde dans lequel on vit. Quand on parle de sa propre identité, on parle de cette idée si importante de famille. Que ce soit dans notre vie ou dans nos relations humaines, le point de départ est la famille et j’essaie de retranscrire cela de façon naturelle.
La jeunesse et la notion d’âge, qui semble peu importer dans ses films.
Il est vrai que cette notion d’âge m’importe peu, car peu importe l’âge, je pense que la nature humaine est pareille chez tout le monde. J’ai parfois été surpris de certaines réactions de spectateurs vis-à-vis de mes films. Pour Burning notamment : « comment, en tant qu’homme d’un certain âge, réussissez-vous a identifier les problèmes persistants de la jeunesse coréenne ? ». Je pense en tant qu’homme que l’on est tous au même niveau d’égalité, je côtoie les jeunes et je les comprends.
© Loic Benoit
La solitude
Mes personnages sont souvent en proie avec la solitude, sans je le décide forcément volontairement. Peut-être car je suis moi-même très solitaire. Encore une fois, je pars de cette idée de base que tout être humain est solitaire. Mes personnages sont comme à la recherche d’une quête. Pour moi la vie est une aventure, un voyage dans lequel on essaie de chercher un sens. Que ce soit de manière volontaire ou pas. J’essaie toujours de montrer dans mes films que l’on peut se refléter dans des personnages qui sont peut-être des représentants de la vie de chacun. C’est comme ça que j’ai envie de raconter mes histoires.
Des personnages d’origine modeste
On me dit parfois : « pourquoi ne montrer que des personnes en souffrance ? ». Croyez-le ou non, j’ai grandi dans un milieu très défavorisé, et je suis très habitué aux souffrances. Ma propre grande sœur est atteinte de la même maladie que mes personnages à mobilité réduite d’Oasis. Ce sont des personnes que je côtoie dans ma vie quotidienne.
Personnages en proie à la violence
Je vous disais que mes personnages étaient toujours en quête de sens, mais ils mènent aussi un combat intérieur, soulèvent des questions de préjugés, d’injustice. Des problèmes liés à la violence d’une certaine façon. Cela existe partout dans le monde. C’est quelque chose de tellement ancré dans notre quotidien qu’on ne voit pas cette barbarie, mais elle est bien là. Je veux que les spectateurs ressentent ce que c’est que cette violence là, qui n’est pas forcément une violence directe. Comme dans Oasis où la forme d’amour qui existe entre les deux personnages prend la forme de la violence. Je tiens à préciser qu’Oasis n’est pas une ode à l’amour. Je pense que dans la relation homme- femme ce côté violent existe. Ce film serait plutôt une question sur la fantaisie que représente l’amour.
Obstination des personnages
Je dirais plutôt que mes personnages mènent un combat qu’ils ne pourront jamais gagner. Aristote disait « L’homme mène toujours un combat qu’on ne pourra jamais gagner », comme se battre contre des restrictions sociétales, notre propre destin…
Le paysage
J’accorde une grande importance à l’environnement qui entoure les personnages, j’évite de fabriquer des paysages artificiels, je pense qu’il est très important de transmettre un message à travers le paysage, pour montrer l’environnement dans lequel vivent mes personnages. J’essaie de reproduire exactement ce que je vois à l’œil nu à travers la caméra.
Quand il s’agit d’intérieurs, j’essaie au maximum de ne pas les recréer de manière artificielle, en dépit des difficultés techniques imposées par les espaces exigus. C’est très difficile de filmer dans des espaces exigus. Dans ce cas je crée des décors à la même échelle pour que cela soit le plus naturel possible. L’exemple d’Oasis est une exception : si vous vous souvenez bien, il y a une scène avec un bébé éléphant qui danse avec ses personnages, et même si c’est un bébé il est quand même trop gros pour passer par la porte, et les espèces menacées sont protégées en Corée. Nous sommes donc partis filmer cette scène en Thaïlande, avons transporté notre propre décor de Corée et malgré tout, l’éléphant était toujours trop gros pour passer la porte. Nous avons dû recréer un décor à l’échelle 1,5x.
Projection
Parfois je tourne une image lambda et les spectateurs interprètent cette image de façon tellement différentes alors que je ne voulais pas forcément y donner un sens. En Corée, Burning a été interdit aux moins de 18 ans car l’on y voit un jeune en train de se masturber face à une tour, visible de la fenêtre. Les critiques ont dit que cela représentait le sexe masculin alors que je voulais juste montrer ce que l’on voyait par la fenêtre. Point.
Corée du Sud / Corée du Nord
Quand vous regardez mes films sans informations préalables sur la société coréenne, c’est parfois difficile à comprendre mais je pense que tout ce qui est individuel peut représenter quelque chose de plus général. Même si vous ne connaissez pas la Corée, j’ai cette conviction que l’on peut partager des choses en commun. Le média qu’est le cinéma est un art qui permet de vraiment comprendre qui sont les autres, on arrive à vivre une expérience inouïe en se mettant dans la peau de quelqu’un d’autre. Cette notion de partage et de communication avec les différents personnages, c’est fabuleux, et c’est pour ça que je fais du cinéma.
© Loic Benoit
Propos recueillis par Charlotte Pavard