Posté le 21.10.2022
Godard, Audiard, Chabrol, Pialat... La comédienne Marlène Jobert se souvient.
« Je suis intéressée par le sujet, l’histoire et le rôle, avant le metteur en scène. Que ces trois choses là soient conjuguées ».
© Olivier Chassignole
Les débuts au théâtre, Des clowns par milliers
J’ai commencé à interpréter des poèmes et, croyez le ou non, c’était la première fois qu’on me trouvait intéressante. Puis, je n’ai même pas fait une année entière au conservatoire, et ça m’est tombé dessus, je ne me rendais pas compte de ma chance, et à vrai dire je n’en ai pas profité… Ce n’est que maintenant que je commence à profiter, il est temps… J’ai rencontré Claude Berri, un homme qui me faisait tellement rire, qui m’a lui même présenté Simone Signoret. C’est elle qui m’a suggéré de jouer avec Montand : « en ce moment on fait des auditions, allez-y tentez votre chance ! ». J’étais trop traqueuse, et je n’ai pas gardé un souvenir incroyable d’Yves (« lisez mon livre »...). Rendez vous compte, je ne suis à Paris que depuis six mois et je me retrouve dans un rôle principal au théâtre aux côtés de Montand… Je n’en ai pas profité. Et je n’aimais pas le théâtre.
Débuts au cinéma
Avec Godard pour Masculin féminin. C’était ma première expérience au cinéma et j’imaginais qu’il y avait toujours un lien avec le réalisateur. Or, avec Godard, rien. Il me disait : « Tu rentres par là tu sors par là point ». Je me suis dit : « Je vais peut-être retourner au théâtre si c’est comme ça le cinéma… ». Je n’ai jamais revu Godard.
Partenaires
« J’attends de mes partenaires qu’ils se donnent. Qu’on oublie qu’on tourne, comme Jacques Villeret qui était extraordinaire ».
Philippe Noiret
Dans Alexandre le Bienheureux d’Yves Robert (1967) on parlait de moi pour la première fois, et on ne parlait que de moi. Or, qui est le premier rôle dans Alexandre le Bienheureux ? Alexandre. Donc Noiret était très vexé. Mais sur le tournage du Secret (1974), bien des années plus tard, nous avons appris à nous connaître et l’on s’est beaucoup appréciés.
Charles Bronson
Il était étranger à notre langue, à notre façon de fonctionner, il nous trouvait bizarres les frenchies, il ne parlait pas un mot de français, mais on parlait avec les yeux, ses yeux de panthère… Je l’ai revu 20 ans après pour l’attribution de son césar d’honneur et on est tombés dans les bras l’un de l’autre.
Lino Ventura
Plus facile qu’avec Bronson ? Lino parle français, au moins. Vous savez quand vous avez de grands acteurs en face de vous, il vous rendent bons.
© Sandrine Thesillat / JL Mège Photography
Jean-Paul Belmondo
Sur le tournage des Mariés de l’an II, Jean-Paul avait un sous-traiteur désagréable dont je ne citerai pas le nom qui faisait tout pour que je ne lui parle pas. Alors je suis passée à côté de Jean-Paul.
Orson Welles
J’étais très impressionnée par Welles. Un peu comme Bronson, il ne nous prenait pas tellement au sérieux. Il ne parlait pas le français… Mais il avait des yeux très malins, on échangeait des sourires…
1967/68, tournage de la série tv Les dossiers de l’agence O, du film d’Audiard Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages…
Tout à coup j’existe. Michel Audiard m’avait vue dans Alexandre le Bienheureux d’Yves Robert (1967). C’était un premier film pour lui, avec Bernard Blier, ils s’amusaient comme des fous, et je le faisais rire en plus, il m’aimait bien, et j’ai senti que j’étais à l’aise avec la comédie. Je me sentais bien sur ce tournage. Mais au fond de moi j’avais envie de jouer des personnages un peu plus graves, plus intenses.
L’Astragale de Guy Casaril (1968)
Un beau rôle pour moi. Quand je suis arrivée à Paris, un des premiers films que j’avais vu était Les sept mercenaires (1960). Si on m’avait dit que trois ans plus tard j’allais jouer avec deux de ses personnages, Horst Buchholz et Charles Bronson.
Le Passager de la pluie de René Clément (1970)
René Clément a eu du mal à me laisser faire, à laisser vivre ma nature spontanée, au départ il me demandait de répéter les répliques exactement comme lui me les disait. Vous imaginez ? Sa femme disait « René Chéri, laisse faire la petite ». Sébastien Japrisot était l’un des scénaristes les plus doués de son époque. Le film a été le plus gros succès de ma carrière, mais je suis passée à côté de cette gloire entre guillemets, sans m’en rendre compte. Toujours ces doutes…
Jean-Paul Rappeneau Les mariés de l’an II (1971)
Plus on est exigeant, plus confortable je me sens. Rappeneau était aussi l’auteur des dialogues et il connaissait toutes les répliques par cœur. J’attends d’un metteur en scène qu’il me dirige. Moi je ne travaillais pas, j’apprenais mon texte je pensais à la situation et je jouais comme si la situation m’arrivait. Je me tue d’ailleurs à le dire à ma fille (NDRL Eva Green) : « Quand vous faites de l’impro vous êtes originale, si vous travaillez à fond en amont, vous êtes plus conventionnel ».
La décade prodigieuse (1971)
Cette année là, j’avais tourné 5 films en 14 mois, vous imaginez ! Je lis le scénario de ce film de Chabrol, que je n’aime pas, moi la petite Marlène Jobert… Alors que des acteurs comme Orson Welles ou Anthony Perkins figurent au casting. Et je ne veux pas faire le film.
Eh bien Chabrol est venu dans ma chambre d’hôtel, il s’est mis à genou et m’a suppliée… Et je l’ai fait. Le tournage était superbe, en Alsace, et pour son anniversaire, il prend Welles par la main et lui dit : « Tu sais pourquoi je l’ai prise la petite ? Parce que tous les films qu’elle fait sont des succès ». Et moi qui pensais qu’il m’avait prise parce que j’avais du talent…
Maurice Pialat, Nous ne vieillirons pas ensemble (1972)
Mon tournage le plus houleux. Quand un rôle est bien écrit vous entrez dedans facilement, les dialogues de Pialat étaient si bien écrits qu’ils en semblaient improvisés. J’avais envie de faire un cinéma comme ça, « couillu ». J’aimais bien Jean Yanne. C’est un souvenir spécial car Pialat avait un talent fou mais alors un caractère aussi détestable qu’attachant. Et les rapports avec Jean Yann étaient très compliqués. Dans ce scénario, Pialat avait pris un malin plaisir à rendre son personnage autobiographique odieux, et dès que Jean Yanne essayait de rendre son personnage plus sympathique il devenait fou. Jean Yanne me disait : « Va dire à ce malade que je dirai pas sa réplique de débile ». Pialat : Va dire à ce con que s’il continue je quitte ce tournage ». Trois semaines plus tard, le producteur me dit qu’il arrête. On me dit de ne pas revenir après le week-end. Or le lundi, je sais pas pourquoi je me rends quand même sur le tournage. Ça s’est su que j’étais revenue et petit à petit, au cours de la journée, sachant que j’étais là, l’équipe est revenue, même Jean Yanne. Le film est allé à Cannes, il a eu le prix d’interprétation.
© Olivier Chassignole
Meilleure collaboration
Claude Goretta Pas si méchant que ça (1974)
Je suis allée le chercher car j’avais vu L’invitation. J’ai coproduit ce film, et tourné avec un jeune acteur qui s’appelait Gérard Depardieu. Il était agréable, n’avait pas la grosse tête…
Le Bon et les méchants (1976)
J’ai adoré tourner avec Lelouch. Il vous porte, il fait tout, il vous donne l’impression que vous faites le meilleur film de votre vie. Tous les acteurs aiment jouer avec Lelouch…
Naissance d’une conteuse
J’ai arrêté le cinéma car je n’arrivais pas à être aussi une mère attentive. J’ai lu beaucoup de contes à mes filles... J’ai commencé à en inventer, j’y ai pris plaisir et je me suis découvert cette aptitude. Et je les ai interprétés car pourquoi les faire interpréter par quelqu’un d’autre ? La reconnaissance fait beaucoup de bien… Les plus âgés m’ont connue en tant qu’actrice et les plus jeunes en tant que conteuse, ça fait trois générations finalement.
Quand ma fille Eva m’a dit « Ça me brule, j’ai envie », je ne voulais pas mais il est vrai qu’elle est très douée. À l’étranger, je suis la mère d’Eva Green et ça me va très bien.
Propos recueillis par Charlotte Pavard