Posté le 18.10.2022
Un western brutal, un film social muet : Josetxo Cerdan, le directeur de la Filmoteca Española de Madrid revient à Lyon pour nous faire découvrir deux restaurations étonnantes.
Plus de quarante ans séparent Le Village maudit (1930) et Condenados a vivir (1972), mais chacun illustre des facettes méconnues du cinéma espagnol. Qu’est-ce qui les rend si particuliers ?
Notre intention au sein de la filmoteca est d’étoffer l’histoire de notre cinématographie nationale, en donnant à connaître des œuvres qui disent sa grande diversité, quand elle reste fort mal connue. A la marge, l’idée est également d’attirer l’attention d’un public plus jeune avec des films qui par leur rareté, leur particularité, revêtent presque un caractère underground.
A l’avènement du parlant, Le Village maudit fut l’un des derniers films muets tournés en Espagne.
Oui, avec une particularité car nous avons découvert que le film, dont il n’existait qu’une copie nitrate, intégrait un certain nombre de scènes sonores que le réalisateur Florían Rey (1894-1962) était allé tourner en studio à Paris. Elles ont été perdues, malheureusement. En 1942, Florian Rey en tourne un remake, cette fois dans une version intégralement sonore, moins intéressante. C’est bien l’original que nous présentons ici qui est considéré comme une œuvre majeure, un film social dénonçant une société patriarcale et s’inquiétant de l’exode rural que connaît l’Espagne. Ce qui tend à la rapprocher de Terre sans pain de Luis Buñuel. Le public pourra être surpris.
Il le sera aussi par la brutalité contenue dans ce western atypique qu’est Condenados a vivir !
Sans doute, comme nous en le découvrant, bien qu’il s’agisse de la version destinée au marché interne, expurgée de quelques scènes. En pleine vogue du spaghetti western, le film, dans la catégorie série B, avait recueilli un joli succès, surtout à l’international avec une version plus radicale encore. Avec ce film, Joaquín Romero Marchent (1921-2012) affirmait la vitalité du « chorizo western », tout en ayant su contourner la censure. L’air de rien, il s’inscrivait dans un mouvement de résistance underground au régime de Franco, à travers le cinéma. Un cinéma alternatif. Un acte de contre-culture.
Le Village maudit, 1930 © DR
Le village maudit
Dans un bourg de Castille, à la fin des années 20, un paysan acculé à la ruine par des années de mauvaises récoltes voit sa femme lui échapper, attirée par une autre vie dans la ville toute proche de Ségovie… Le Village maudit est une œuvre à la beauté austère, riche notamment de séquences d’exode massif impressionnantes, où à dos d’âne tirant des charrettes, des familles entières fuient la misère et la faim. Un drame rural puissant où s’opposent la campagne et la ville, jeunes et vieux, l’honneur et la honte, hommes et femmes, ces dernières manifestant un besoin farouche de liberté, mal vécu alors par les gardiens de la “tradition”. Il préfigurait un changement sociétal qui dans la vie conduirait par exemple les Espagnoles à avoir le droit de vote, dès 1933. Les Françaises attendraient 1944.
Propos recueillis par Carlos Gomez
Les séances du jour :
Le Village maudit de Florián Rey (La aldea maldita, 1930, 1h15)
Institut Lumière ma 18 11h45
En ciné concert, accompagnement au piano par Didier Martel
Condenados a vivir de Joaquín Romero Marchent (1972, 1h27)
Institut Lumière me 19 21h30 | Lumière Terreaux sa 22 21h30