Posté le 16.10.2022
Star du cinéma britannique dans les années 50, la suédoise Mai Zetterling (1925-1994) se détache progressivement du métier d’actrice, de peur de devenir « une vamp vieillissante ». Elle décide alors de passer à la réalisation et signe plusieurs films résolument féministes.
« Je veux savoir ce qui se passe »
C’est le premier dialogue du cinéma de Zetterling, réalisatrice d’un premier long : Les Amoureux en 1964. Il est prononcé par la jeune Angela, l’une des trois héroïnes du film aux côtés d’une femme qui vient de perdre son enfant et d’une victime d’un pédophile. Angela refuse qu’on l’endorme quand elle accouchera, elle veut « savoir ce qui se passe ». Zetterling a 39 ans quand elle réalise Les Amoureux. Elle fut d’abord comédienne sous la direction d’Ingmar Bergman, Basil Dearden ou Mark Robson. Elle inaugure un cinéma qui pourrait s’intituler : tout ce que vous avez toujours savoir sur les femmes et plus encore ! Car le monde féminin est pour Zetterling un monde de grand débordement comme on n’en a encore jamais vu ainsi.
Les Amoureux, 1964
Réalité augmentée
Zetterling est une cinéaste qui a du tempérament. En 1965, elle réalise Jeux de nuit, ou le souvenir qu’un homme a de sa mère fantasque et toxique alors qu’il revient avec sa fiancée dans sa maison d’enfance désormais désertée. Visuellement tout est charnel : les gros plans sur les orchidées, un personnage qui écrit une partition musicale sur les fesses nues d’une jeune femme, ou cette mère qui accouche devant tous, telle une reine. Zetterling fixe tout cela dans un noir et blanc très vif, plus blanc que noir, avec une volonté de clarté, d’évidence quasi documentaire. La cinéaste a été par ailleurs une documentariste très spirituelle et étonnante.
Jeux de nuit, 1965
« Trente secondes de paradis pour trente ans d’enfer »
Ainsi un personnage masculin des Amoureux résume-t-il sur sa relation aux femmes auprès d’un camarade. Masculin-féminin, c’est l’un des grands thèmes du cinéma de Zetterling, décliné sous la forme d’une réelle incompréhension des femmes par des hommes qui se méfient d’émotions jugées vulgaires. En 1968, Zetterling réalise Les Filles. Alors qu’elles sont en tournée pour jouer Lysistrata d’Aristophane (ou l’histoire de femmes qui font la grève du sexe afin de voir leurs demandes prises en compte), trois comédiennes interrogent leur relation aux hommes. « Être une femme au foyer, c’est important » a entendu l’une d’entre elles. Ou encore « une femme ne peut pas s’engager en politique ». Ces femmes en quête de modernité débordent du cadre. Pour Zetterling, il est temps de trouver une dimension à leur hauteur. La réalisatrice développe cela avec une séquence de ballet façon West Side Story. Les femmes avancent en pas scandés et font reculer les hommes. Elles déchirent leurs vêtements et les lancent aux maris avant de leurs casser la gueule à grands coups de prises de judo comiques !
Les Filles, 1968
Se lécher l’épaule
La sensualité féminine est un territoire sans réserve et sans limite vue par la caméra de Zetterling. C’est aussi le sujet traité par de grandes artistes « précurseuses » qu’on planqua dans des asiles faute de vouloir les comprendre, telle la romancière suédoise Agnes von Krusenstjerna qui fut internée, et dont Zetterling réalise un biopic intitulé Amorosa en 1986. Ce film explore le désir féminin avec joie et simplicité. Les filles jeunes se demandent comment on embrasse un homme, ou comment « ça fait » l’amour ? On joue à se lécher l’épaule, à s’embrasser doucement dans l’eau, des choses qui par leur candeur libérée paraissent dangereuses à une société encore très patriarcale.
Amorosa, 1986
Virginie Apiou
Séances :
Les Filles de Mai Zetterling (Flickorna, 1968, 1h40)
Villa Lumière di16 9h15 | Villa Lumière lu17 11h | Lumière Bellecour ma18 20h30
Amorosa de Mai Zetterling (1986, 1h57)
Pathé Bellecour di16 11h15 | Lumière Terreaux me19 10h45 | Lumière Bellecour ve21 20h30
Les Amoureux de Mai Zetterling (Älskande par, 1964, 1h58, int -16ans)
Lumière Bellecour di16 18h | Lumière Terreaux je20 19h30
Jeux de nuit de Mai Zetterling (Nattlek, 1966, 1h45, int -16ans)
Institut Lumière lu17 14h15 | Cinéma Opéra me19 21h30 | Lumière Bellecour sa22 20h30