Autour de minuit

Souvenirs de Bertrand Tavernier / Lumière Classics

New York, 1959. L’ère du be-bop touche à sa fin, et Dale Turner (Dexter Gordon), qui fut l’un des saxo-ténors les plus inspirés de sa génération, voit poindre le bout de la route. Miné par l’alcool et la pauvreté, usé par une lutte incessante contre les préjugés, il livre, dans les boîtes sordides du Bowery, son dernier combat… Quinze ans plus tôt, Dale triomphait à Paris. Au Blue Note, un adolescent de 13 ans découvrait alors, grâce à lui, un son et un univers inconnus, et une raison de vivre. Francis Borier (François Cluzet) est resté fidèle au souvenir de Dale, qui l’a aidé à traverser les épreuves de la guerre d’Algérie. À 28 ans, il continue d’attendre le retour de son idole…  

Bertrand Tavernier était un immense amateur de jazz, Autour de minuit constitue son hommage à cette passion.

Produit par Irvin Winkler (Taxi Driver, New York, New York…), le film s’inspire de l’histoire de Francis Baudras, qui consacra sa vie au pianiste de jazz Bud Powell, en lui permettant de continuer à jouer, l’hébergeant et soignant sa tuberculose. Ici, Francis, incarné par François Cluzet, épaule celui dont la musique l’a tant aidé à vivre, le saxo-ténor Dale Turner, tentant de le protéger de tout ce qui le détruit. Pour camper Turner, Bertrand Tavernier cherche un musicien qui joue, et non un comédien essayant de se faire passer pour musicien. Sa rencontre avec Dexter Gordon (que certains croyaient mort) est déterminante. « [Son personnage] est en panne de famille et de bien d’autres choses – d’argent –, et il est meurtri, blessé par la vie, comme l’étaient d’ailleurs Lester Young et le pianiste Bud Powell, “fatigué de convaincre” comme disait Thelonious Monk… » (Bertrand Tavernier, Le Cinéma dans le sang, Écriture) Autour de minuit réussit une véritable gageure : rendre proche et intime la création à l’œuvre, capter l’impalpable essence du jazz, ce que bien peu de films étaient parvenus à restituer auparavant.

Alors que le cinéaste imaginait à l’origine son film en noir & blanc, c’est le décorateur Alexandre Trauner qui l’en dissuade, et lui promet de construire des décors « couleurs de minuit ». « La maîtrise des gris bleutés de l’ensemble des nuits du film égrène au fil des séquences des tonalités en parfait accord avec les airs de be-bop entendus. Rarement une symbiose m’a autant impressionné, comme si, par je ne sais quel sortilège, s’opérait une transfusion du registre sonore à celui des lumières. » (Henry Welsh, Jeune Cinéma n°176, octobre/novembre 1986)

Un sortilège qui envoûta le cinéaste Michael Powell, qui confiait à son ami Bertrand Tavernier avoir « compris ce qu’était le jazz par la mise en scène, les cadrages, les mouvements, une manière de filmer la musique. » (op. cit.)