Batman : Le Défi

Prix Lumière : Tim Burton

À l'approche des fêtes de Noël, Gotham City est terrifiée. Depuis plusieurs mois, la ville est le théâtre d'événements étranges. Surgis des entrailles de la cité, d'audacieux malfaiteurs déguisés en clowns ou en acrobates et se réclamant d'un mystérieux "Pingouin", sèment la terreur dans les rues. Violences et agressions, rapts, exactions et farces sanglantes se multiplient, et chacun de se demander : « Qui est donc le Pingouin ? »

Le succès fulgurant de Batman en 1989 fit immédiatement envisager une suite. Mais Tim Burton aura beaucoup hésité avant d’accepter de la réaliser. Sorti épuisé du premier opus, partiellement insatisfait, il lui fallait du temps.  Et c’est l’idée de justement ne pas en faire "une suite" qui le convainc. Batman : Le Défi – dont le titre original, Batman Returns, est symboliquement plus parlant – sera différent.

Gotham a changé. Verticale, elle prend des allures de Metropolis, entre gothique, expressionnisme et architecture fasciste. Encore plus sombre. Dans ce conte à la Dickens, la satire de l’Amérique est plus marquée : soif de pouvoir, capitalisme à outrance, magouilles politiques et affairistes, campagnes électorales sans programme, pollution, et en creux, une allégorie de la guerre du Golfe avec une scène finale apocalyptique.

La vraie question de ce Batman est de savoir qui est monstrueux et qui ne l’est pas. La scène inaugurale brouille les pistes : pendant les fêtes de fin d’année, un couple se débarrasse de son enfant difforme dans une rivière. Dans cet univers, trois personnages-animaux : Batman est entouré de deux créatures, Catwoman et le Pingouin. Ce dernier, magistralement campé par Danny De Vito, surgit des égouts, vêtu en baron du siècle dernier, crasseux et ambitieux. Il fait des déchets de la ville son fonds de commerce, des secrets enfouis dans les eaux usées une matière à chantage. Catwoman est sans doute le personnage le plus pessimiste, car absolument nihiliste. Toutes griffes dehors, elle miaule et ondule. Symbole de la mutation de Selina Kyle, secrétaire invisible, en Catwoman, femme-latex de la tête aux pieds, le néon qui souhaite la bienvenue dans l’appartement, désormais privé de son O, n’indique plus que « Hell there ». Le personnage de Michelle Pfeiffer, éblouissante, ne croit plus en rien, ni dans les hommes, ni dans les monstres. Car si elle s’associe un temps avec le Pingouin, il semble que ce soit pour le seul plaisir d’affronter Batman dans une lutte qui prend les formes d’une pulsion sexuelle. Dans ce jeu de massacre, le véritable monstre a, lui, un visage humain. Max Shreck (clin d’œil à l’acteur Max Schreck qui incarnait Nosferatu le vampire dans le film de F.W. Murnau), homme d’affaires capitaliste, magouille avec les politiques, s’arrange avec la loi et supprime tout qui se met sur sa route, tout en justifiant son action par son amour pour son fils. Dans cet univers, tout est désormais flou.

« Ce qui me plaît dans l'univers de Batman, contrairement à celui de Superman, c’est que tout n’est pas blanc ou noir. On est en permanence à la limite des deux, et d'une certaine manière, c'est tout à fait représentatif de ce qui se passe aux États-Unis. Dans ce contexte, les méchants sont beaucoup moins méchants, ce qui est très dérangeant pour le personnage de Batman, lequel ne sait plus très bien où il en est lui-même. Aller plus loin dans cette idée de l'ambivalence a été un moteur pour moi lors de l'élaboration du script, et le Pingouin constituait en cela le support idéal. » (Tim Burton, Positif n°379, septembre 1992)