Big Eyes

Prix Lumière : Tim Burton

Fuyant son mari, Margaret (Amy Adams) s’installe à San Francisco avec sa fille. Peintre amateur, elle essaye de gagner sa vie en vendant ses portraits aux passants. Lorsqu’elle rencontre Walter Keane (Christoph Waltz), artiste-peintre également, il l’encourage. Elle tombe sous son charme fantasque et l’épouse. Bientôt, ils exposent ensemble dans un club de jazz…

Big Eyes a de quoi surprendre dans la filmographie de Tim Burton. Sa forme, sa mise en scène, sa narration sont plus classiques qu’à l’accoutumée, l’univers visuel bien plus lumineux. Pour ce film tragi-comique sur un couple dans le milieu de l’art, Tim Burton s’est entouré de Scott Alexander et Larry Karaszewski, les scénaristes d’Ed Wood. L’histoire des époux Keane est véridique – à l’instar de celle d’Ed Wood –, et célèbre aux États-Unis.

C’est l’histoire d’une imposture artistique. Pendant des décennies, Walter Keane s’est arrogé la paternité des portraits d’enfants tristes aux grands yeux réalisés par son épouse Margaret. D’abord révoltée, Margaret s’accommode tant bien que mal de cette situation, son extravagant mari lui expliquant le bien-fondé de l’entreprise : faire fortune. Escroc mais aussi homme de son temps, Walter Keane comprend vite le pouvoir du marketing de masse, faisant reproduire en série les images de ces enfants aux yeux surdimensionnés, qui inonderont bientôt les États-Unis. Tim Burton saisit le monde de l’art contemporain à un tournant, lorsque la figure de l’artiste devient star, quelle que soit la valeur de son œuvre, et ce à grand renfort de communication bien organisée.

Qui est le plus talentueux des époux Keane ? Margaret, la femme courageuse, et ses toiles ? On en doute, son œuvre étant méprisée par le milieu de l’art. Walter, le loser magnifique, et son sens de l’arnaque ? Pourquoi pas. Incarné par Christoph Waltz, Walter le manipulateur place son épouse sous emprise. C’est un mythomane maladif, un freak, prêt à verser complètement dans la folie. « C'est bel et bien ce qui fait la réussite de Big Eyes : sa tendresse pour ses personnages, tous ses personnages. Son refus de juger leur comportement, sa générosité à la fois pour les spectateurs et pour les êtres humains. Tout comme dans Ed Wood, où le “plus mauvais cinéaste du monde” était mis sur un pied d'égalité avec Orson Welles (une icône du génie) parce que, bon ou mauvais cinéaste, ils font le même métier, avec la même passion, la même folie, le même enthousiasme, Burton le cinéaste refuse les échelles de valeurs bourgeoises. Tous les êtres humains n'ont pas le même talent, les mêmes aptitudes, la même intelligence, mais tous, acteurs ratés, vampires complètement déconnectés avec la réalité, superhéros mal aimés de la société, monstres et extra-terrestres effrayants en tous genres, doivent avoir leur chance. La morale burtonienne serait-elle naïve ? Non, car elle continue à aller contre l'idée de réussite sociale, contre les conventions des classes moyennes, et contre l'ennui. Burton s'est toujours placé du côté des marginaux […] Le cinéma de Burton est un cinéma bon mais jamais niais, drôle, humaniste et courageux. Big Eyes le prouve une fois de plus. » (Jean-Baptiste Morain, Les Inrockuptibles, 18 mars 2015)