Edward aux mains d'argent

Prix Lumière : Tim Burton

Peg (Dianne Wiest), représentante en cosmétiques, vit avec son mari Jim (Anthony Michael Hall) et ses enfants Kim (Winona Ryder) et Kevin (Robert Oliveri) dans un quartier pavillonnaire. Lors d’une tournée, elle découvre, dans une demeure abandonnée sur les hauteurs de la ville, un jeune homme reclus, apeuré, le visage blême, le corps sanglé de cuir.  Edward (Johnny Depp) est la création d’un génial inventeur (Vincent Price), décédé avant d’avoir pu lui greffer des mains. À la place de celles-ci, des lames et des ciseaux tranchants. Peg, attendrie, décide de l’accueillir chez elle.

Edward est né d’un dessin de Tim Burton, d’une image qu’il avait en tête depuis l’enfance, « un personnage qui veut toucher ce qui l’entoure, mais ne peut le faire, et dont le désir créateur est en même temps un désir destructeur. » (Tim Burton in Tim Burton - Entretiens avec Mark Salisbury, Points) Cette créature, il en confie la naissance sur l’écran à son mentor et désormais ami, Vincent Price, star du cinéma d’épouvante, dont ce sera l’ultime film.

Comment une banlieue américaine proprette aux couleurs pastels pourra-t-elle intégrer celui qui est si différent ? Bien, étonnement. Nouvelle coqueluche de ces dames qui trompent leur ennui, Edward fait profiter de ses talents les jardins, les chiens et les chevelures du voisinage. Mais l’hospitalité n’est que de façade, les visages sont artificiellement amicaux. Dans cette satire de l’American way of life, la "communauté" est de classe moyenne, blanche, parfois bigote. Un véritable entre-soi, parfait terreau pour l’intolérance et l’exclusion. Et de cette peur de la différence naissent le ressentiment, la férocité, le mensonge et la haine. Un souvenir d’enfance pour le cinéaste qui, enfant, habitait Burbank. « Grandir dans ces banlieues, c'était grandir dans un univers sans histoire, sans culture, sans passions. Les gens écoutaient de la musique – mais l'entendaient-ils vraiment ? On avait l'impression que tout leur était profondément indifférent. […] Du coup, il fallait ou bien se fondre dans la masse et renoncer à une grande part de soi-même, ou bien posséder une vie intérieure et donc se couper des autres. » (Tim Burton, op. cit.)

Pour incarner la naïveté et la candeur dans cette banlieue a priori rose bonbon, Tim Burton choisit Johnny Depp, tout droit sorti de la série 21 Jumpstreet et de Cry Baby de John Waters. Visage impassible, regard perdu, quasi mutique, il est Edward, avant de devenir l’alter ego du cinéaste dans son œuvre future. Dans l’impossibilité de vivre les sentiments qu’il éprouve, il bouleverse dans les scènes autour de ses mains d’argent, comme celle où il griffe le couloir étroit de la maison de Peg, empli d’une fureur contenue. À ses côtés, Winona Ryder, à contre-emploi dans le rôle de la lycéenne populaire. À eux deux, et sous l’œil de la magnifique Dianne Wiest, ils incarnent l’histoire d’amour romantique, la fantastique étrangeté.

En utilisant les prologue et épilogue typiques du conte pour enfants, Tim Burton signe une variation sur le thème du monstre, et convoque celui de Frankenstein, de Pinocchio, ou de la Bête amoureuse de la Belle. « Conte de fées magique, symphonie mélancolique en quatre couleurs pastels (vert, bleu, jaune et rose), Edward aux mains d'argent se déroule dans un monde hostile où l'on assassine avec le sourire. […] Edward est ce moment magique où l'âme de l'artiste se matérialise devant nos yeux ébahis. Mieux qu'un film réussi, il est le conte de fées enfin retrouvé. » (Iannis Katsahnias, Cahiers du cinéma n° 442, avril 1991)