La Plaisanterie

Trésors et curiosités

Ludvik Jahn (Josef Somr) découvre qu'Helena (Jana Dítetová), une journaliste venue l’interroger, est l'épouse d'un ancien camarade d'études, Pavel (Ludek Munzar), responsable de son exclusion de l'Université. À la suite de ce renvoi, Ludvik a été incorporé dans un bataillon militaire pendant deux ans et demi, puis puni d'un an de prison disciplinaire et de trois ans dans les mines. Quinze ans plus tard, l'occasion est trop belle pour ne pas se venger.

Jaromil Jireš et Milan Kundera se rencontrent à la Famu, l’Académie du film de Prague, où l’écrivain est professeur. Après six ans d’études de cinéma comme opérateur et réalisateur, Jireš prépare un scénario adapté du recueil de nouvelles Risibles amours de Kundera, mais cela ne fonctionne pas. L’écrivain lui confie alors le manuscrit de La Plaisanterie, son premier roman encore inédit. Ensemble, ils remanient le texte et écrivent le scénario du film en quelques semaines. Le tournage débute en 1968, au moment de l’arrivée au pouvoir d’Alexandre Dubček, annonçant le Printemps de Prague et se termine alors que les chars soviétiques sont entrés dans la ville, à la fin du mois d’août.

À sa sortie, le film est perçu comme une opposition au régime. Deux millions de spectateurs iront le voir, jusqu’à ce que Gustáv Husák, nouveau secrétaire du Parti communiste, l’interdise quelques mois plus tard – ainsi que l’ensemble des œuvres de Jireš et de Kundera. Heureusement, des copies ont déjà passé les frontières et permettront au film d’être vu aux États-Unis, en France, en Belgique… En France, il circulera dans les ciné-clubs et les circuits parallèles, mais ne sera distribué que vingt ans plus tard.

En jouant des flashbacks, le cinéaste confronte constamment le point de vue de la victime, qui veut se souvenir, et celui du bourreau, qui a choisi d’oublier. Joseph Somr interprète remarquablement le personnage de Ludvik Jahn, qui se fait le miroir des transformations de la société tchécoslovaque.

« Jireš a trouvé un ton, mélange de drame tempéré, de vision documentaire, railleuse, sur une civilisation pourrie jusqu'à la moelle et d'attention aux corps. Son regard aigu ne manque jamais de douceur quand il s'agit de se poser sur des êtres brisés par l'histoire, l'hypocrisie… Dans cette optique, il a été formidablement servi par l'acteur Josef Somr, qui interprète Ludvik Jahn. Ce type au corps lourd, aux yeux las mais à la grimace ironique, porte sur ses épaules un personnage ambigu et concassé, qui possède pourtant une énergie formidablevissée par des années de rancœur. Plongé dans le noir et blanc allègre du directeur de la photo Jan Curik, Somr donne à Ludvik et à La Plaisanterie cette physionomie hybride, triste et gaie, qui est la marque du désespoir. » (Édouard Waintrop, Libération, 28 novembre 1990)