Les Noces de Toprin

André De Toth, les films hongrois / Lumière Classics

Première Guerre mondiale. Le lieutenant Mányay (Pál Jávor) et Corinna, la fille de son colonel, sont amoureux. Parlant couramment russe, Mányay est chargé de mettre au jour un réseau d'espionnage. Il se fait ainsi embaucher comme jardinier au domaine du comte Toprini (Ferenc Kiss), soupçonné de diriger le réseau. Mányay trouve une alliée inattendue en la personne de la malheureuse épouse du comte (Klári Tolnay). Bientôt, il se retrouve en danger de mort…

Né probablement en 1912, à Mako au sud de la Hongrie dans une famille originaire des Carpates, il est « le dernier borgne d’Hollywood ». André De Toth a toujours brouillé les pistes sur son année de naissance. Pour lui, cela ne voulait pas dire grand-chose : certaines personnes naissaient vieilles et d’autres mourraient jeunes. En fin de compte, l’âge était pour lui une excuse pour ne pas agir – insupportable pour celui qui avait comme devise « Don’t be careful, have fun ! »

Il a toujours créé, les deux mains dans les beaux-arts dès l’enfance. À l’adolescence, il expose ses peintures et sculptures. Devant le fiasco public, il détruit toutes ses œuvres. Il se lance alors dans l’écriture théâtrale : à 18 ans, la représentation d’une de ses pièces est annulée à la veille de la première. C’est au moment où il regarde son nom disparaître du fronton du théâtre qu’il est abordé par un homme : le célèbre écrivain Ferenc Molnár. De discussions dans les cafés de Budapest à la présentation du poète Mihály Babits, Molnár accompagne le jeune homme. Ainsi, lors d’une rencontre, ses mentors discutent de son avenir professionnel : « – Le cinéma, c’est l’avenir. C’est un nouvel art qui bourgeonne. Ça correspondrait bien à ses talents. Les mots et les images conviendraient à son tempérament. Pour faire des films, des films à succès, il faut avoir de l’audace. – Et ça, il en a ! acquiesça Molnár. » (Fragments – Portraits de l’intérieur, André De Toth, Actes Sud / Institut Lumière). Celui qui s’appelle encore Endre Tóth n’a du cinéma que des connaissances limitées : le vague souvenir d’un film avec Jack Holt, les premières adaptations des récits d’aventures de Karl May…

Ses premiers pas dans l’industrie cinématographique, c’est à l’écrivain Imre Farkas qu’il les doit. Celui-ci, dont une œuvre est adaptée sur grand écran, lui obtient un laissez-passer pour assister au tournage. De Toth se retrouve le jour même à jouer les assistants "café-rhum" pour le caméraman István Eiben. Il apprendra la technique auprès de celui-ci, puis son métier en voyageant en Europe et aux États-Unis et collaborera à des scénarios… En attendant, c’est encore Mihály Babits qui propose son nom pour la réalisation d’un film qui ne trouvait pas de réalisateur : Les Noces de Toprin.

Ce film d’amour et d’espionnage est la version parlante d’un film de 1917 réalisé par Béla Balogh. Premier de ses cinq films hongrois, il se voit récompensé du prix du film le plus artistique par le ministère de la Culture. Réalisé à moindre coût, il permet au cinéaste, grâce à son succès public, d’enchaîner quatre autres réalisations la même année.

À propos de ses films hongrois que le journaliste Michael Henry n’avait pas vus, André De Toth, malicieux, exagérateur et infiniment drôle, prenait plaisir à répondre : « Vous n’avez rien perdu. Ils sont très mauvais. Mais dans chacun d’eux, j’ai essayé d’expérimenter, d’introduire quelque chose d’inédit, du moins dans le contexte du cinéma hongrois. Par exemple l’adultère. Quand j’ai suggéré qu’une comtesse se donnait à son jardinier, cela a créé pas mal de remous. Et pourtant on ne voyait qu’une main de femme éteignant la lampe de chevet. » (Positif n°407, janvier 1995). Une période fondatrice à (re)découvrir.