Les Noces funèbres

Prix Lumière : Tim Burton

Victor Van Dort, fils de nouveaux riches ayant fait fortune dans la poissonnerie, doit épouser Victoria Everglot, fille d’aristocrates désargentés. Ils ne se sont jamais rencontrés. Dans l’immense demeure décatie des Everglot, la veille du mariage, c’est le coup de foudre. Mais la répétition tourne au cauchemar. Intimidé, Victor bégaye et manque de mettre le feu à sa future belle-mère. Il s’enfuit dans la forêt et, déprimé, il répète inlassablement ses vœux. Dans son élan, il passe l’alliance à une branche d’arbre… qui se révèle être ce qui reste du doigt d’Emily, une défunte fiancée. Elle lui saisit la main et l’entraîne outre-tombe.

Réalisé en parallèle de Charlie et la Chocolaterie, Les Noces funèbres constitue, dix ans après L’Étrange Noël de Monsieur Jack, le retour de Tim Burton vers l’animation. Si la technique est la même – marionnettes filmées en stop motion, image par image –, le cinéaste est ici à la manœuvre et coréalise le film avec Mike Johnson, génie de l’animation.

L’histoire est inspirée d’une fable européenne du XIX^e siècle. Sans en connaître l’origine précise, Tim Burton choisit de situer son conte funèbre à mi-chemin entre l’Europe centrale et l’Angleterre victorienne. Les premiers vivants rencontrés par le spectateur sont gris, blêmes, corsetés, glaçants. Victor est un jeune homme timide, un peu raide, peu à l’aise dans les relations sociales. Il porte le visage triangulaire de Vincent, l’un des premiers héros (1982) du cinéaste. Les morts, chez qui Victor est emmené par Emily, sont, quant à eux, libérés de toute contrainte. L’au-delà est joyeux, vif, enjoué. Les couleurs éclatent, l’alcool coule à flot, on danse et on chante. Les cadavres sont beaux. Et la mariée, pleine de panache, a un charme fou. « S’il te voyait comme nous te voyons » chantent un ver et une araignée. Victor commence à entrevoir et le doute s’insinue. Victoria ou Emily ?

Servi par un casting de voix exceptionnel, celles de Johnny Depp et Emily Watson (qui prêtent également leurs traits à Victor et Victoria), en passant par Helena Bonham Carter (Emily, la fiancée défunte), Albert Finney ou Christopher Lee, Les Noces funèbres est d’une réelle fluidité et d’une grande finesse. À l’heure du lissage numérique, il garde toutefois la trace de sa genèse : les poupées, aux lourdes paupières mécaniques, apportent un incontestable charme suranné au film.

Cette histoire d’amour entre deux mondes inverse les valeurs. Les vivants sont à moitié morts et les morts d’une vitalité à fouetter le sang. Et il semblerait que le cinéaste ait montré sa préférence. « Le film de Burton construit une expérience funèbre qui s'apparente à une progressive acceptation, à un cheminement de plus en plus positif aux côtés des cadavres, images de soi a priori impossibles à aimer. En ce sens, Corpse Bride est aussi un manifeste romantique, sur le mode fameux à la fin du XVIII^e et au début du XIX^e siècles de la poésie des tombeaux, retrouvant cette formule chère à Madame Necker, l'inspiratrice du mouvement : “J'aime les pensées tristes. Je me promène souvent parmi les cadavres dans les asiles des morts, car il faut, par goût et sagesse, être froidement malheureuse. Il y a une sorte de courage d'esprit à pouvoir envisager, sans être exagérément effrayée, puis avec douceur et même poésie, la grandeur des corps des trépassés.” » (Antoine de Baecque, Tim Burton, Cahiers du cinéma)