Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street

Prix Lumière : Tim Burton

Londres, milieu du XIX^e siècle. Sweeney Todd (Johnny Depp), après quinze ans, revient se venger de l’infâme juge Turpin (Alan Rickman), qui, avec l’aide de son âme damnée le bailli Bamford (Timothy Spall), l’a condamné au bagne, afin de lui ravir sa femme Lucy (Laura Michelle Kelly) et sa fille Johanna (Jayne Wisener). Todd était jadis barbier. Il reprend son échoppe au-dessus de la boulangerie de Mrs Lovett (Helena Bonham Carter), qui lui apprend que Lucy s’est donné la mort et que Johanna est retenue par Turpin…

Au commencement, une vieille histoire populaire, sorte de légende londonienne : un barbier fou tranchait la gorge de ses clients, tandis que sa compagne se débarrassait des corps dans la farce de ses tourtes. Devenu roman-feuilleton sous la plume de Thomas Peckett Prest, adapté trois fois au cinéma (la version de George King, 1936, est encore visible), puis au théâtre par Christopher Bond, c’est en 1979 que Sweeney Todd devient, grâce à Stephen Sondheim, un musical à succès. C’est cette version que choisit de porter à l’écran Tim Burton, accompagné du compositeur.

Dès les premières images de Sweeney Todd, c’est la colorimétrie qui frappe : les images sont grises, sales, plombées. Seul contraste, le sang, rouge vif et épais (tel celui des productions Hammer adorées par Tim Burton). Et le sang giclera, coulera à flots. Le cinéaste prévient le studio : « Les gars, ne soulevez surtout pas la question du sang, car il y en aura des hectolitres. […] Il est impossible d’être politiquement correct avec un sujet pareil : ici, on parle d’un tueur en série qui transforme ses victimes en tourte à la viande. »  (Tim Burton in Tim Burton - Entretiens avec Mark Salisbury, Points)

Ce récit de vengeance est porté par ses comédiens, le couple Johnny Depp et Helena Bonham Carter évidemment, mais aussi les excellents Alan Rickman et Timothy Spall. Le personnage de Sweeney Todd s’inspire des monstres de l’épouvante comme Peter Lorre ou Boris Karloff. Il hante le film, taiseux et rongé par les démons de son passé. Malgré les rares incursions de lumière, à travers les désirs d’amour de Mrs Lovett ou l’histoire naissante entre Anthony, un jeune marin revenu à Londres avec Todd, et Johanna, il n’y a pas de rédemption dans ce monde nihiliste. Dans ce drame macabre, tous se livrent à leurs plus sombres desseins.

Comme toujours dans les comédies musicales, les comédiens chantent en playback alors que la musique, enregistrée auparavant par les comédiens eux-mêmes, est diffusée sur le plateau. Tim Burton remarquera que la gestuelle des acteurs s’en trouve changée, qu’une énergie différente naît alors et porte leurs mouvements. « On avait l’impression d’être en contact avec Lon Chaney », confiera-il op. cit.).

« Sweeney Todd rassemble plusieurs miracles en un seul. La mise en images rêvées d'un spectacle qui a déjà atteint au théâtre sa propre perfection. L'épanouissement d'un cinéaste magicien qui fait sien, sans brutalité, un matériau qu’il révère : Sweeney Todd restera l’un de ses chefs-d'œuvre. Un acteur en état de grâce qui trompe toutes les attentes et ignore tous les clichés. Malgré la noirceur de l’intrigue, malgré le sang qui coule à flots, pour la musique raffinée de Sondheim, pour la gestuelle délicate de Johnny Depp, pour ce romantisme frénétique que Tim Burton a su réinventer, Sweeney Todd distille un bonheur rare. » (Christian Viviani, Positif n°564, février 2008)